Le curage des mares :
<span class="underline-path" équilibre entre eau et forêt

La diversité des écosystèmes forestiers reste considérable, même sous notre climat tempéré, car les conditions écologiques varient fortement d’un territoire à l’autre.

La forêt bretonne diffère de la forêt lotoise, tout comme celle des Causses du Quercy se distingue nettement de celle du Ségala. La gestion, ou au contraire l’absence de gestion, accentue ou atténue ces contrastes, créant à l’échelle d’un territoire une diversité biologique plus ou moins importante.

La forêt s’associe également à d’autres habitats particuliers comme les pelouses calcaires, les clairières, les habitats rocheux, les marais… et les mares. Leur interaction fait apparaître toute une flore et une faune spécifiques. Ces milieux connexes enrichissent fortement la biodiversité forestière et doivent entrer pleinement dans la gestion forestière.

Dans cette dynamique, les mares jouent un rôle vital : elles servent de véritables réservoirs de biodiversité et de régulateurs naturels du cycle hydrologique. Pourtant, ces écosystèmes aquatiques, souvent négligés, subissent aujourd’hui l’envasement et la dégradation. Le curage des mares, pratique ancienne de gestion des milieux humides, permet alors de restaurer ces espaces fragiles. Mais pourquoi et comment intervenir ? Quels bénéfices pour la faune, la flore et les activités humaines ?

Cet article, écrit par Thierry Vasseur, technicien forestier du projet Cœur de Forêt France Sud-Ouest, explore en profondeur le rôle crucial des mares en forêt et les méthodes de curage.

Mare avec nénuphar dans le Lot

Qu'est-ce que c'est qu'une mare ?

Une mare est une étendue d’eau peu profonde dont toute la hauteur est exposée au rayonnement solaire, ce qui permet le réchauffement et la photosynthèse. Sa surface reste inférieure à 5 000 m², mais certaines mares peuvent mesurer seulement 1 m².

La mare reçoit directement les eaux de pluie, le ruissellement de son bassin versant ou les apports d’une nappe phréatique. L’eau s’accumule dans de petites dépressions sur un sol imperméable.

Elle peut se former naturellement, mais l’homme la crée le plus souvent pour divers usages : abreuver le bétail ou les animaux de la basse-cour, ou accueillir la faune sauvage.

Qu’elle soit artificielle ou naturelle, la mare constitue un habitat pour de nombreuses espèces (amphibiens, insectes, mollusques, plantes…) et remplit plusieurs fonctions vis-à-vis de la vie sauvage : reproduction, alimentation et refuge.

Le sol et la végétation autour de la mare révèlent la présence d’eau au moins une partie de l’année. Certaines mares s’assèchent chaque été, lorsque les pertes d’eau dépassent les apports. Cela ne pose pas nécessairement de problème écologique.

La végétation des mares

Autour des mares, la végétation forme des ceintures concentriques selon le degré d’humidité des abords et la hauteur de l’eau. Chaque espèce végétale s’installe ensuite dans les conditions qui lui conviennent le mieux. Certaines s’implantent là où le niveau d’eau reste faible, tandis que d’autres colonisent les zones où l’eau est plus profonde.

Schéma de différents types d'espèces dans une mare
Une mare dans le Lot
Mare forestière : le manque de lumière limite le développement de la végétation aquatique

Dans les mares forestières, un ombrage important empêche le soleil d’atteindre l’eau et limite le développement de certains végétaux aquatiques. Les plantes héliophiles, amoureuses du soleil, régressent au profit des plantes sciaphiles, mieux adaptées à la faible luminosité. Les mares de lisière se situent à l’interface entre un milieu fermé, les boisements, et un milieu ouvert, les prairies ou les clairières forestières. Elles bénéficient d’un ensoleillement plus important, qui favorise le développement d’une faune et d’une flore adaptées aux deux types de milieux (ouverts et fermés).

La dynamique de ces milieux amène la végétation à évoluer dans une colonisation centripète. C’est-à-dire que cette végétation progresse vers le centre de la mare, au fur et à mesure que le comblement s’opère et que la hauteur de la zone d’eau libre diminue.

C’est le processus naturel. La mare se comble avec le temps et les espèces inféodées à ce milieu disparaissent. Le comblement est dû à un dysfonctionnement du cycle de la dégradation de la matière organique. Le manque d’oxygène ne permet pas aux micro-organismes de dégrader et décomposer cette matière. Il y a donc une accumulation qui aboutit à un comblement de la mare. Ces apports allochtones de matières organiques, en provenance du « micro-bassin versant » de la mare, accélèrent le phénomène de comblement. La matière minérale allochtone participe également à ce comblement ; cette matière stimule la croissance des plantes aquatiques. À la mort de ces plantes, si les micro-organismes ne dégradent pas les organes morts, ils s’accumulent dans la mare, accélérant ainsi le comblement.

Les mares forestières sont entourées d’une strate arborescente plus ou moins développée et pouvant recouvrir totalement ou partiellement la mare. Ainsi, l’impact de la lumière est moindre. Moins de lumière, moins d’évaporation et moins de photosynthétique. Donc une végétation aquatique moins abondante.

C’est toute l’activité de la mare qui est réduite.

Les processus de dégradation de la matière sont plus limités. Les feuilles des arbres et des arbustes de la forêt tendent à s’accumuler au fond de la mare. Le comblement est accéléré. Un boisement plus ou moins humide apparaît et l’écosystème aquatique en tant que tel n’existe plus.

Entretien et gestion des mares... nos préconisations

Si l’on laisse les mares évoluer naturellement sans entretien ni gestion, elles disparaissent avec les espèces qui y vivent. Pour maintenir ces habitats, il faut mettre en place une gestion active.

Pour conserver une mare à un stade équilibré et maintenir un niveau d’eau suffisant, intervenez régulièrement avec des entretiens légers. Il ne s’agit pas de suivre une recette toute faite : chaque mare possède ses spécificités, ses caractéristiques et ses intérêts. Adaptez donc les types de travaux à chaque situation.

Quelques règles de base à suivre…

  • Réalisez un état des lieux le plus exhaustif possible de la mare et de sa fonctionnalité avant les travaux afin d’éviter la disparition d’habitats ou d’espèces à enjeux.
  • Privilégiez les interventions douces en réalisant les travaux en plusieurs fois si possible, ou seulement sur une partie de la mare. Avant les travaux, prévoyez le maintien de zones refuges pour la faune et la flore. Ces zones refuges permettront à la mare de se recoloniser plus facilement après les interventions.
  • Programmez les interventions en dehors de la période de reproduction de la majorité des espèces animales : évitez le printemps et le début de l’été. Les sites de ponte, les œufs, les larves et les individus adultes risquent alors d’être détruits. En outre, intervenir pendant ces périodes dérange fortement la faune. Certains amphibiens commencent leur reproduction dès le mois de février.
Photo d'une mare

Gestion de la végétation ligneuse

Une des principales problématiques dans la gestion des mares forestières concerne le développement de la végétation ligneuse dans la mare et sur ses berges. Ce développement réduit l’apport de lumière et limite le développement de la vie aquatique.

Nous devons trouver un équilibre entre :

  • Fournir un ensoleillement suffisant pour favoriser la dynamique du milieu grâce à la photosynthèse et au développement optimal de la flore et de la faune.

  • Maintenir un ombrage suffisant pour limiter une colonisation végétale excessive qui réduirait l’évaporation en dessous des apports d’eau.

Nous cherchons donc à apporter un peu de lumière pour stimuler la dynamique du milieu et le développement de la flore et de la faune aquatique, mais sans excès. Trop de lumière accélérerait la croissance végétale et le comblement de la mare. En parallèle, nous conservons un ombrage qui limite les pertes par évaporation, en veillant toujours à ce que les apports d’eau restent supérieurs aux pertes. Il faut trouver cet équilibre entre lumière et ombre, ce qui n’est pas simple. Les proportions théoriques recommandées se situent généralement autour de 60 % de lumière et 30 % d’ombre.

 Période et fréquence d’intervention

On pourra procéder à des coupes de ligneux directement implantés dans la mare, sur les berges ou à proximité de la mare. L’objectif étant de faire « reculer » la lisière forestière. Ces coupes dans la mare peuvent être accompagnées, si besoin, d’un curage partiel et/ou d’un dessouchage.

Ces opérations se feront sur une partie seulement des berges, de préférence sur celles exposées au sud et/ou en pentes douces.

Attention, un arbre à forte valeur esthétique ou écologique devra être conservé !

Un éclaircissage des houppiers des arbres en place peut être suffisant, afin d’apporter la lumière nécessaire.

Les rémanents seront stockés en tas ou en andains à quelques mètres de la mare. Ils serviront, par exemple, de refuge pour des amphibiens, des insectes, des reptiles, des micromammifères ou de sites de nidifications de certains passereaux.

L’intervention peut se faire en période hivernale, ou à partir de la mi-septembre. L’opération est répétée tous les 3 à 5 ans

Schéma d'une mare fermée et ouverte
Schéma d'une mare fermée et ouverte

Gestion de la végétation aquatique

La végétation aquatique recouvre progressivement la surface de la mare. Au fur et à mesure que la mare se comble, les plantes hélophytes progressent vers son centre, laissant peu de place aux espèces qui vivent dans les zones d’eau libre. Pour limiter l’expansion de certaines plantes hélophytes (par exemple les roseaux et les massettes), réalisez un faucardage, c’est-à-dire une fauche de la végétation au niveau de la surface ou légèrement sous l’eau.

On limitera ainsi sa colonisation. Équipés de cuissardes ou de waders, vous pourrez réaliser un arrachage manuel des jeunes pousses. C’est une alternative douce, mais fastidieuse au faucardage. Une fauche de printemps a davantage d’impact sur la dynamique de la végétation, limitant la colonisation par les hélophytes.

Ces coupes de printemps dérangent fortement les espèces qui utilisent ces habitats (nidification des passereaux paludicoles, métamorphose des libellules…). Mettez-les en œuvre de manière adaptée et avec beaucoup de précautions. Si la végétation aquatique hydrophyte (nénuphars) devient trop importante, extrayez-en une partie au râteau à la fin de l’été pour maintenir une zone en eau libre d’au moins un tiers de la surface totale. Placez les végétaux aquatiques extraits pendant une journée sur la rive de la mare. Les multiples petits animaux piégés (insectes, amphibiens…) pourront s’en libérer et rejoindre la mare. Ensuite, exportez les végétaux loin de la mare

Attention, cette opération est à éviter absolument au printemps : larves de tritons, de grenouilles, de mollusques ou d’insectes peuvent y être accrochées et seront alors détruites. Les lentilles d’eau, petites plantes flottantes très couvrantes, peuvent être récoltées avec un râteau ou une épuisette, par écrémage, en particulier si elles recouvrent totalement la mare.

Le Curage des mares

Au fil du temps, la mare va disparaître. L’envasement du milieu devient important et l’accumulation de matières organiques provoque un comblement. Les arbres et les hélophytes colonisent rapidement le milieu. Les zones d’eau libre se réduisent considérablement. Un curage permet de stopper cette évolution et de retrouver une surface d’eau libre plus importante tout en maintenant les espèces qui y sont inféodées.

Retrouver une surface en eau libre

Si l’épaisseur de la vase dépasse 40 cm, un curage doux peut être envisagé. La vase est extraite à l’aide d’une pelle. Quelques centimètres de vase peuvent être gardés : de nombreux organismes y sont présents et la vase assure aussi une fonction de protection pour certains. Elle contient également la nourriture de certaines espèces.

Il faut bien indiquer et matérialiser les lieux de passage des engins ou des opérateurs, afin de ne pas multiplier les zones de tassement. Dans le même temps, nous pouvons tout à fait envisager un curage partiel de la mare. Fait en deux fois par exemple, avec un étalement sur 3-5 ans. Tout dépend des mares, de leur taille, de leur profondeur.  

Période et fréquence d’intervention :

Intervenez de septembre à fin novembre. La fréquence des curages varie selon le type de mare, sa profondeur, son emplacement et son environnement. On peut réaliser un curage tous les 8 à 15 ans. Pour perturber moins le milieu, effectuez-le en deux fois, avec un intervalle de deux ans.

L’assèchement naturel ou provoqué de la mare constitue une autre technique pour gérer les vases : il facilite leur récolte et leur extraction. Réalisez un assèchement automnal ou hivernal tous les cinq ans pour maîtriser efficacement les vases. Cette méthode peut toutefois provoquer la germination de graines de massettes, qui peuvent ensuite proliférer.

Précaution importante :

Évitez de détériorer ou de percer la couche imperméable, qu’elle soit plus ou moins profonde. Réalisez un sondage préalable si nécessaire. Pour détecter que vous touchez la couche perméable, ne curer que les vases accumulées sur le fond de la mare. Lors du curage, dès que l’argile se mélange aux vases, arrêtez de creuser plus profondément.

Certaines vases contiennent beaucoup de nutriments. Évitez de les déposer sur les rives ou sur les écoulements d’eau qui alimentent la mare, car cela risque de provoquer une eutrophisation rapide et un embroussaillement des berges. Dans ce cas, il faudra réaliser des travaux rapidement. Étalez les vases à une distance d’une dizaine de mètres, ce qui semble suffisant.

Pendant les opérations de curage, profitez-en pour reprofiler les berges : redessinez leurs contours et adoucissez les pentes de la mare. Cela facilitera la circulation de nombreux amphibiens.

Lexique :

Andains : bande continue de végétation herbacée ou ligneuse laissée au sol après une fauche ou une coupe.
Eutrophisation : enrichit le milieu en éléments nutritifs (nitrate, phosphate, etc.), d’origine naturelle ou provenant des activités humaines (par exemple les intrants agricoles).
Faucardage : consiste à couper et exporter les roseaux et autres hélophytes poussant dans l’eau des fossés, des mares, des étangs ou des cours d’eau.
Héliophile : plante qui se développe uniquement en pleine lumière.
Hélophyte : plante herbacée des milieux humides dont la base (l’appareil racinaire) reste dans le substrat gorgé d’eau, tandis que l’appareil végétatif et reproducteur (tiges, feuilles, fleurs) reste aérien.
Hydrophyte : plante inféodée aux milieux aquatiques, enracinée ou non au fond, qui se développe en surface de l’eau ou partiellement immergée.
Paludicole : espèce inféodée aux milieux humides et marécageux.
Rémanents : branches ou troncs que les bûcherons abandonnent sur place après une coupe.
Sciaphile : plante qui se développe dans un milieu ombragé.

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