En cette journée du 8 mars, Journée internationale du droit des femmes, nous vous proposons une réflexion sur le lien entre les femmes et l’environnement. Comment les changements climatiques impactent-ils les femmes ? Est-ce qu’un engagement dans la lutte environnementale peut-il être un facteur d’empowerment pour ces dernières ?
Pourquoi est-il important de prendre en compte les enjeux de genre dans les projets de développement et quelles en sont les difficultés et limites ?
Les femmes, premières victimes des effets du changement climatique
Aujourd’hui, alors que (presque) tout le monde s’accorde sur le fait que l’humanité et l’ensemble des êtres vivants font face à une crise écologique sans précédent, il semble important de souligner que certains en subissent plus les conséquences. Les changements climatiques impactent l’ensemble des populations et la lutte contre ce bouleversement n’est pas genré. Cependant, les conséquences restent différentes pour les hommes et les femmes.
La dégradation de l’environnement accroît les inégalités et les disparités entre hommes et femmes sur la capacité à réagir face à un danger climatique. Représentant la majorité des pauvres dans le monde, les femmes sont impactées plus brutalement par les effets du changement climatique. Cette précarité s’observe également en regardant de plus près l’accès aux ressources naturelles.
Dans les pays du Sud particulièrement, ce sont les femmes qui traditionnellement s’occupent de tout ce qui touche à l’habitat, à la gestion des tâches domestiques comme d’aller chercher l’eau et le bois. Cet accès est rendu plus difficile à cause des sécheresses, entraînant des pénuries d’eau. Elles sont dépendantes des ressources naturelles pour effectuer les tâches qui leur sont dévouées. Elles sont donc impactées dans leurs fonctions familiales qui sont de nourrir leurs proches, de prendre soin des autres et particulièrement des personnes âgées, de veiller sur la santé de leurs enfants.
Les changements climatiques ont également un impact sur la sécurité des femmes. En effet, une femme qui vit seule et en situation de précarité a plus de risques de se retrouver dans des situations de violence. De plus, la raréfaction des ressources en eaux et la déforestation excessive augmentent les temps de trajets des petites filles pour trouver un accès à de l’eau et pour aller chercher le bois. Ces distances, toujours plus longues, les exposent à des risques de violences et sont un frein à leur éducation (ONU Femmes).
Les femmes sont également les plus touchées par les noyades lors d’inondations ou de tsunamis pour plusieurs raisons. Elles ont, avec les enfants, 14 fois plus de risques de ne pas survivre à une catastrophe naturelle (PNUD, 2015). Pour des raisons culturelles et sociales, elles restent plus à la maison donc apprennent moins à nager que les hommes, certaines ne peuvent pas se déplacer hors de chez elle sans un référent masculin et elles peuvent n’être prévenues que tardivement quand un danger approche.
Mais les femmes ne doivent pas être considérées uniquement comme les victimes des conséquences climatiques, elles peuvent aussi être actrices de changements et participer activement à la construction d’un monde plus durable. L’investissement des femmes dans les questions écologiques pourrait être une opportunité pour elles d’avoir une place différente au sein de la société et de leurs communautés.
L’écologie et l’empowerment féminin, des enjeux qui convergent
Que ce soit dans les pays du Nord ou dans les pays du Sud, les problématiques environnementales actuelles affectent des domaines qui sont habituellement destinés aux femmes à savoir : soigner, nourrir, protéger. Cette place significative, sur le devant de la scène, leur permet une légitimité et surtout une volonté de s’impliquer dans l’écologie. Elles veulent protéger leurs proches, leur environnement et leurs droits.
L’intervention et les actions menées par les femmes dans les mouvements environnementaux vont entraîner une prise de conscience de leurs droits et leur détermination à changer leurs conditions de vie.
Les premières actions féministes et écologiques ont apporté une meilleure visibilité aux femmes dans la sphère publique, qui était un espace traditionnellement masculin. L’émancipation économique des femmes et les luttes féministes ont permis que cet espace leur soit plus accessible. L’engagement dans la protection de l’environnement est une opportunité pour les femmes d’accéder à cet espace.
Certaines s’engagent par choix pour protéger la nature qui les entoure, et d’autres le font parce que s’engager est inévitable pour elles, pour leurs proches, et pour préserver les ressources naturelles, vitales à leurs activités. Elles acquièrent une légitimité nouvelle et chamboulent les structures patriarcales.
Elles proposent une vision différente de la société en développant des savoirs, et en proposant des actions concrètes, basées sur leur vécu et leurs expériences.
Ces actions menées par des femmes pour protéger l’environnement et défendre leurs droits leurs donnent la possibilité de faire entendre leurs voix, d’être perçues différemment par leurs proches, de prendre confiance en elles et de se sentir légitime à agir.
La difficulté de prendre en compte les enjeux de genre dans les projets de développement
De nombreux rapports de l’ONU et d’ONG montrent l’importance de prendre en considération la question du genre dans les politiques environnementales et de développement, et surtout les liens de réciprocité entre l’égalité hommes/femmes et le développement durable.
Chez Cœur de Forêt, nous accordons de l’importance aux enjeux d’émancipation économique et sociale des femmes dans les projets que nous menons. Mais la mise en application sur le terrain n’est pas toujours évidente. Tout d’abord, il y a la maturité du projet avec une direction à suivre qui est claire et des activités définies qui permettent de contrer efficacement les problématiques environnementales locales. La priorité est avant tout de développer des activités pertinentes, concrètes, qui sont suivies sur le terrain, avant d’acter plus dans le détail une « approche genre » qui puisse proposer des leviers d’actions concrets à ce niveau.
Sur notre projet à Madagascar par exemple, l’enjeu du foncier dépasse la condition féminine : les paysans se battent déjà pour garantir leur droit de propriété des terres, dans un contexte de croissance démographique qui va inexorablement mener à une raréfaction du foncier (cela se ressent déjà aujourd’hui avec une mise en culture de terres qui traditionnellement ne l’étaient pas et qui sont bien moins fertiles). De notre côté, nous nous engageons dans le projet à favoriser l’accès au foncier, mais à l’échelle d’une coopérative qui est constituée à 50% de femmes et 50% d’hommes.
Nous arrivons à travailler autant pour les femmes que pour les hommes, et à définir une organisation de travail via les formations qui composent avec les contraintes naturelles et humaines : les ports de charge lourde reviennent plus aux hommes, tandis que des activités plus « fines » comme le bouturage reviennent plus aux femmes. Il semblerait que de bons équilibres soient trouvés à ce niveau au sein des coopératives. Cependant, chaque personne, homme ou femme, est formé et évalué sur chaque module : il n’y a pas de « discrimination » de genre a priori. Surtout, nous insistons pour que les femmes fassent partie intégrante des Conseils d’administrations. Sur ce point-là, il semble que les coopératives s’organisent assez naturellement en ce sens sans que Cœur de Forêt n’ait à intervenir.
Nous pouvons nous poser la question sur l’évolution de la place de la femme au sein de ces coopératives une fois que Cœur de Forêt stoppera son appui et aura constaté l’autonomisation de ces producteurs et productrices ?
Ce sont les équipes sur le terrain qui sont plus proches des réalités sociales des pays qui nous guident sur la stratégie d’actions à adopter à ce niveau pour concilier : « ordre local existant » et « émancipation » et/ou appui plus particulier à l’indépendance féminine.
Pour conclure cette réflexion, il est important de souligner que l’idée n’est pas de penser que seules les femmes détiennent des solutions pour résoudre les problématiques environnementales. Au contraire, il ne faut pas séparer les femmes d’un côté et les hommes de l’autre quand on parle d’écologie.
L’écologie est le combat que l’ensemble de la société, hommes et femmes, doit mener. Les conséquences du dérèglement climatique sont une urgence à laquelle chacun est amené à prendre sa part de responsabilité et à agir, ensemble. C’est la coalition de chacun, homme et femme, qui amènera à une transformation de nos sociétés. Les citoyens et citoyennes de ce monde sont appelés à converger ensemble pour trouver des alternatives au fonctionnement de nos sociétés actuelles, qui a des effets dévastateurs pour l’environnement.
Sources :
BIEHL Janet, Extrait de Rethinking Ecofeminist Politics, South End Press, Boston, 1991,
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Luke Haywood, pp.1-6.
D’ERM Pascale, Sœurs en Ecologie : Des femmes, de la nature et du réenchantement du
monde, Editions La Mer Salée, 2017, 192 pages.
HACHE Emilie, RECLAIM, Recueil de textes écoféministes, Edition Sorcières, 2016, 389
pages.
LA BANQUE MONDIALE, Les migrants climatiques : visages humains d’un dérèglement
planétaire, 19 mars 2018, https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2018/03/19/meet-the-human-faces-of-climate-migration.
RAPPORT de la Banque Mondiale, Le travail des jeunes hommes et femmes pauvres et
vulnérables, La Banque Mondiale, 2018.