Et si planter moins d’arbres, c’était mieux gérer les forêts ?
- Tiphanie David
- il y a 3 jours
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 1 jour
La forêt est un écosystème que l’on croit souvent figé et simple à restaurer en plantant un arbre. Et pourtant, sur une parcelle forestière située près de Villefranche-de-Rouergue en Aveyron, une autre réalité se dessine. Ici, une propriétaire forestière, que Cœur de Forêt accompagne depuis deux ans, s’est engagée dans une démarche de gestion respectueuse et résiliente, loin de la logique de la replantation systématique.
Un héritage sylvicole en question
Cette parcelle de 50 ans, typique des plantations des années 70, a été établie selon un modèle en interbandes : des bandes de Douglas, essence résineuse à forte valeur marchande, alternant avec des bandes laissées en feuillus. Une tentative, à l’époque, de marier essences productives et naturelles. En soi, un plan de gestion diversifié.
Aujourd’hui, le modèle montre ses limites.
Avec le réchauffement climatique, les conditions locales ont changé : l’altitude (300 m) est trop basse et les étés sont devenus plus chauds et plus secs.
Résultat : le Douglas dépérit, sa présence n’a désormais plus d’avenir sur cette parcelle.
Couper ou accompagner : deux visions de la forêt

Face à ce constat, la tentation pourrait être de couper à blanc et de replanter un résineux plus adapté aux nouvelles conditions climatiques. Cette coupe rase provoquerait une perturbation brutale de l’écosystème forestier. La lumière inondera brusquement le sol, l’ambiance forestière disparaîtra, et la forêt cessera d’exister… pendant un temps assez long.
Dans cette forêt, deux zones ont été traitées différemment :
Une coupe rase dont nous ne sommes pas à l’initiative. Et sur cette zone, la propriétaire a replanté 1250 tiges par hectare.
La zone gérée en irrégulier, par notre association, où « seulement » 84 tiges par hectares, en 12 zones que l'on appelle des points d'appuis, ont été introduites… mais le couvert forestier est préservé. En fonction de la dynamique naturelle, nous laissons la possibilité d'envisager d'autres plantations par points d'appuis au fil du temps.

Cette seconde approche s’inscrit dans une dynamique plus proche de l’écosystème : on retire les arbres dépérissant (ici les Douglas) et on observe. On laisse le temps au temps. On accompagne la plantation par point d'appuis. Cette technique permet d'introduire des essences peu ou pas présentes sur place. Elle permet de diversifier la composition de la forêt et d'introduire quelques essences qui résisteront mieux aux étés secs et chauds. Nous accompagnons aussi la régénération naturelle, en protégeant les jeunes pousses spontanées, et en favorisant l’apparition d’un sous-étage.
Un modèle plus lent… mais plus vivant

Ce que cette expérience nous enseigne, c’est qu’une forêt n’est pas une usine à bois. Elle est un écosystème vivant, complexe, interconnecté. La logique simpliste « je plante donc je sauve la planète » ne tient pas si elle s’inscrit dans un schéma d’exploitation court-termiste : planter, exploiter, replanter. Ce cycle ignore trop souvent le rôle essentiel du sol, de la diversité des essences, de l’équilibre entre les générations d’arbres.
Planter un arbre sur une coupe rase, ce n’est pas toujours "replanter une forêt". Une forêt, c’est aussi son ambiance, son microclimat, ses relations invisibles entre espèces, champignons, racines, faune… qu'une plantation en plein mettra des décennies à recréer, si elle y parvient.
Parfois la coupe rase devient inévitable
Chez Cœur de Forêt, nous privilégions toujours des pratiques forestières qui préservent l’écosystème. Pourtant, il arrive que la coupe rase soit utile. Deux grandes situations peuvent amener à mettre en œuvre cette pratique :
Des problèmes sanitaires graves
Ils sont généralement dus à des peuplements monospécifiques, qui sont plus vulnérables aux perturbations induites par le changement climatique ou la présence de ravageurs.
En Dordogne, par exemple, certaines plantations de pin laricio (Pinus nigra var. calabrica) âgées d’une trentaine d’années, dépérissent massivement à cause de la maladie dite de la bande rouge. Le frêne connaît le même sort : la chalarose décime des peuplements entiers.
Les taillis de châtaigniers, quant à eux, subissent un dépérissement lié à la fois aux maladies et au réchauffement climatique, l’espèce devenant de moins en moins adaptée aux nouvelles conditions. Dans ces cas, la coupe rase est parfois une option pertinente pour gérer le problème et repartir sur des bases plus saines…
Des catastrophes naturelles ou des peuplements en fin de cycle
Les tempêtes, comme celle de 1999, peuvent provoquer d’importants chablis (arbres tombés ou cassés) qui empêchent la réalisation de travaux d’entretien.
Autre cas :
Les forêts très âgées, issues d’un traitement régulier qui arrivent en phase de sénescence. Tous les arbres deviennent vieux en même temps, et peuvent être récoltés. Dans ces cas où des coupes rases peuvent être mise en œuvre, l’objectif sera d’éviter une coupe brutale sur une surface d’un seul tenant trop importante : on cherche alors à étaler les interventions sur plusieurs années, par exemple 10 ans, à favoriser la régénération naturelle et à limiter au maximum la perte du couvert forestier.
Dans tous ces exemples, les coupes rases ne sont pas un choix par confort, mais la conséquence de pratiques passées (plantations monospécifiques, traitements uniformes) qui rendent la forêt plus vulnérable.
Vers un changement de regard
Aujourd’hui, nous devons changer notre manière de penser la forêt. La bonne gestion ne se limite pas à planter : elle consiste à observer, comprendre, anticiper, et agir avec précaution. Cela commence par un diagnostic, une meilleure connaissance des sols, des essences présentes, et de leur potentiel de régénération.
Une "perturbation positive", légère, pensée, peut suffire à relancer un cycle forestier. Encore faut-il accepter de ralentir, d’attendre et de faire confiance au vivant.

Financer une forêt, ce n’est pas financer des arbres
Si l’objectif est de préserver durablement les forêts et les écosystèmes, alors il faut revoir nos indicateurs de réussite. Comme celle du nombre d’arbres plantés.
Dans certaines situations, planter moins, mais mieux, préserver l’existant, encourager la résilience naturelle, s’avère bien plus efficace que de replanter à grande échelle.
Chez Cœur de Forêt, nous repensons petit à petit notre modèle de financement, afin de préserver au mieux les forêts françaises. Nous soutenir, c’est soutenir une gestion forestière fondée sur les écosystèmes.