Frantz, notre technicien forestier, nous partage son œil d’expert.
Le lierre, souvent décapité à grand coup de serpe sitôt qu’il grimpe sur un arbre, il est aussi aimé par ceux qui connaissent ces nombreuses vertus. Voilà bien une plante qui prête à discussion et qui mérite que nous nous attardions sur sa réputation. La légende veut qu’on le traite comme un parasite, alors découvrons ensemble la réalité sur cette plante essentielle pour la biodiversité forestière. Si vous vous baladez en forêts françaises, vous ne trouverez qu’une seule espèce de lierre : le Lierre commun ou Lierre grimpant (Hedera helix L). Dans le grand règne des végétaux, le lierre fait partie des lianes. Il peut atteindre jusqu’à 40 m de long, mais est incapable de tenir debout sans support sur lequel grimper !
Où sont les racines du lierre ?
Le lierre possède son propre système racinaire souvent très développé. Mais contrairement à la légende, c’est uniquement au contact du sol que les tiges du lierre vont faire des racines. Pour progresser tel un ninja sur les nombreux supports qu’on le sait capable de coloniser (arbres, murs, poteaux…), le lierre utilise d’inoffensives, mais puissantes ventouses. Celles-ci se développent sur la face à l’ombre de la tige, en contact avec son support. Ces ventouses n’auront d’autres rôles que celui de s’accrocher au support. En aucun cas, ils n’ont de pouvoir absorbant.
Pourquoi le lierre grimpe-t-il aux arbres ?
Une grande partie des gens pense que le lierre est un parasite, qu’il vit au détriment de l’arbre. Le lierre est ainsi fréquemment coupé pour “protéger” les arbres. Et pourtant, les crampons du lierre servent simplement à s’accrocher au tronc sans impacter le bon développement de l’arbre.
Plus le lierre grimpe, plus il capte de lumière, ce qui lui permet de développer ses fleurs. S’accrocher aux arbres lui permet donc de se reproduire. Et pour cela, le lierre est patient. Il fleurit dès fin août, pas avant l’âge de 10 ans. Les baies formées en automne atteignent leur pleine maturité en hiver. D’abord vertes, elles virent ensuite au brun avant de prendre une belle couleur noire, une friandise dont se régalent les oiseaux en période de disette.
Qu’en est-il de sa réputation de nuire au développement des arbres ?
Pendant des décennies, le lierre a été poursuivi et coupé à sa base, une chasse aux sorcières avec comme principal reproche celui de nuire à la croissance des arbres en les étouffant ! Et pourtant, la vérité est tout autre.
Depuis quelques années, nombreux sont les acteurs sylvicoles et les personnes sensibles à l’environnement qui se battent pour lui redonner ses lettres de noblesse et mieux le préserver.
Des études montrent le rôle crucial du lierre pour la forêt !
Le lierre abrite une faune si riche qu’il est un des éléments essentiels de la biodiversité forestière. En abritant et en permettant la reproduction des nombreux insectivores, la plante joue un rôle fondamental sur la régulation des parasites qui peuvent affecter la forêt (insectes surtout).
Le lierre est aussi une plante mellifère reconnue, un régal pour nos abeilles si précieuses ! Ses fleurs apparaissent de fin août à fin octobre selon les régions. Le lierre est ainsi une des plantes les plus tardives sous nos latitudes. Extrêmement apprécié des pollinisateurs, il attire une faune 1,7 fois plus diverse que les autres plantes et ce sont même 235 espèces différentes d’insectes butineurs qui s’y régalent.
À la suite de sa floraison automnale, les fruits du lierre seront source de nourriture pour les oiseaux durant la période hivernale. Mais attention aux excès ! En effet, les fruits du lierre sont légèrement toxiques. Ils accélèrent le transit des oiseaux pour éviter la digestion des graines. Elles seront ainsi dispersées dans leurs excréments. C’est ce que les biologistes appellent l’endozoochorie, la dispersion des graines grâce à des animaux. Là où les passereaux favorisent la dispersion du lierre dans l’écosystème forestier ; puisque la graine transite dans son tube digestif. Le Pigeon ramier, lui, fait exception. Il consomme aussi des baies de lierre, mais les digère grâce à son gésier.
Le lierre, régulateur thermique à la scène et à la ville.
Dans le fonctionnement de l’écosystème forestier, le lierre assure de nombreux rôles dont celui de régulateur thermique. En tapissant le sol (humus), il aide à maintenir sa fraîcheur. À l’heure du réchauffement climatique et lors des périodes de canicules, la préservation de l’eau dans le sous-sol de la forêt est essentielle. Ce rôle de régulateur est aussi efficace sur l’arbre. Grâce à la couverture foliaire du Lierre sur le tronc, il assure une petite couche isolante surtout en période hivernale.
Ce rôle d’isolant est fortement étudié dans le bâtiment. De récentes études sur l’usage des murs végétaux comme moyen d’isolation thermique ont conduit à s’intéresser au lierre pour sa capacité à coloniser les murs. Sur une façade en briques, la comparaison de l’effet thermique entre les zones couvertes de lierre en hiver avec celles non couvertes montre un écart de la température de 0,5°C plus chaud. La nuit, les murs couverts étaient en moyenne de 1,4°C plus chauds que les autres, mais au milieu de la journée, ils étaient 1,7°C plus frais.
Le lierre nourrit même les sols
Au-delà de maintenir la fraîcheur des sols, le Lierre joue aussi un grand rôle nutritionnel. Les feuilles du lierre se renouvellent environ tous les trois ans durant la période printanière où elles tombent au sol. Or, à cette période, il n’y a pas grand monde qui perd ses feuilles parmi les arbres. Il y a donc peu d’apport par la décomposition des éléments nutritifs au sol et donc aux arbres. Le printemps est pourtant un moment clef où l’arbre commence un nouveau cycle et où ses besoins nutritifs sont importants. Le lierre favorise ainsi la croissance des arbres en termes d’apport nutritif à un moment clef de la croissance saisonnière de la végétation forestière. Il semblerait également, et ce n’est pas là chose anodine en milieu urbain, que les feuilles de lierre soient plus chargées en plomb et en cadmium que ne l’est le reste de la plante. Tout comme les renouées du Japon (Reynoutria japonica) absorbent les métaux lourds, le lierre aurait donc aussi cette propriété intéressante. S’il est utilisé avec cet objectif absorptif, il faut ramasser les feuilles au moment de leur chute et les ramener en déchetterie afin d’éviter que les métaux lourds ne retournent à la terre.
Quelle relation le sylviculteur entretient avec le lierre ?
Pour le sylviculteur, le lierre est un allié lors des travaux de marquage des bois en période hivernale. Il va permettre de connaître l’état de santé d’un arbre. Il faut tout d’abord savoir que le lierre reste toujours à l’intérieur du houppier, n’empêchant jamais son arbre hôte de réaliser sa propre photosynthèse. Tant que l’arbre est feuillé et donc en pleine santé, le lierre reste à la base et sur les branches maîtresses. En revanche, lorsque l’arbre dépérit, voire meurt, l’apport de lumière déclenche le développement du lierre dans le haut du houppier mort pour s’y reproduire. C’est pourquoi, en hiver, lorsque les forestiers parcourent la forêt, l’état de développement du lierre sur lui servira d’indicateur sur son état sanitaire.
Et si on expérimentait avec le lierre ?
En termes d’influence sur la croissance des arbres, une expérimentation originale ancienne a été réalisé en 1870 en Angleterre. Monsieur A. Arnold, propriétaire forestier éclairé, décida de couper les lierres installés sur la moitié des chênes colonisés de sa parcelle et de laisser les autres ; en 1942, tous les chênes furent abattus et aucune différence ne fut trouvée en hauteur moyenne, en diamètre à la base ou en volume de bois des chênes récoltés qu’ils aient été porteurs de lierre ou pas ! Plus récemment, une nouvelle étude confirme que la croissance des « arbres à lierre » a été éprouvée (Trémolières et al., 1988) sans qu’il y ait de différence avec les arbres qui n’en avait pas.
Si nous venons de voir les intérêts pour le lierre, il peut aussi avoir un impact négatif sur les arbres porteurs, mais ces effets ne se manifestent que dans certaines circonstances. Si un lierre installé sur un arbre réussit à atteindre la canopée, il accède alors à la lumière totale et va déployer ses ramures et son feuillage. Clairement, il va entrer en compétition pour la lumière avec l’arbre et prendre le dessus en couvrant le feuillage de son hôte. Un autre effet collatéral du lierre installé vers la cime concerne le risque de faire casser l’arbre lors d’épisodes de vent fort ou de gel intense. En effet, la boule volumineuse d’un lierre installée dans la cime avec son feuillage présent même en hiver offre une prise au vent accrue et devient très lourde en cas de formation de glace sur les feuilles. Le risque est encore plus fort avec les essences à bois tendre (peupliers, saules, frênes) ou avec les arbres âgés.
Alors, faut-il couper le lierre ou le laisser ?
Dans le cas des forêts, sa préservation est plus que recommandée sachant qu’il n’y aura que très peu de cas où le lierre présente un risque de recouvrement pour un arbre en pleine santé. Pour le cas d’arbres isolés, les arbres fruitiers par exemple, la coupe du lierre grimpant sur le tronc peut se justifier du fait qu’à un moment donnée par la forte arrivé de lumière de part et d’autre, le lierre se développera abondamment jusqu’à recouvrir l’ensemble du houppier. Néanmoins, durant son abstinence d’une dizaine d’années, tant qu’il n’a pas atteint la cime, le lierre présente bien des avantages indéniables avant d’être coupé. Tout est une question de contrôle !
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